Le Conseil Economique encourage l’habitat participatif et les Incroyables Comestibles

Le Conseil Economique, Social et Environnemental – C.E.S.E., dans un avis rendu en avril dernier, destiné à éclairer le gouvernement et le Parlement sur la qualité de l’habitat, encourage l’habitat participatif et une ville comestible, prenant exemple sur les Incroyables Comestibles. Dans son rapport intitulé « qualité de l’habitat, condition environnementale du bien-être et du mieux vivre ensemble » Madame Dominique Allaume-Bobe, s’est attachée à prendre en compte les enjeux essentiels de la transition écologique pour l’habitat, dont le changement climatique et la biodiversité, en tant qu’ils sont porteurs de solutions innovantes. Considérant l’importance du lien entre environnement, habitat, vivre ensemble et bien-être des habitant.e.s, l’avis cherche à promouvoir une nouvelle gouvernance de l’habitat dans laquelle les habitant.e.s doivent être tout particulièrement parties prenantes.

[EXTRAITS]

Développer les projets d’habitat participatif et s’inspirer de leur dynamique

Les attentes en matière d’habitat varient en fonction de la population à laquelle on s’adresse. Les jeunes actif.ve.s cherchent souvent à loger en centre-ville. En revanche, lorsqu’on interroge les familles sur leur souhait de logement, elles plébiscitent comme le souligne le rapport, la maison individuelle assez vaste, avec jardin et garage dans un quartier calme – le bruit étant au premier rang des préoccupations. Ce type de logement correspond en majorité à un logement en dehors de la ville-centre, en périphérie urbaine ou en milieu rural ce qui provoque un étalement urbain avec tous les problèmes connexes : artificialisation des sols, construction et gestion de réseaux, transports… et donc des incidences financières fortes pour les collectivités territoriales.

À l’inverse, les pouvoirs publics veulent favoriser la densification urbaine, c’est-à-dire la logique de priorité aux immeubles de logements collectifs ou semi-collectifs. Renforcer la densité du collectif et la mixité des fonctions permet le rapprochement des lieux d’habitation, de travail et de loisirs tout en limitant les déplacements en voiture au profit des transports en commun, voire de la marche et du vélo. Elle tient aussi mieux compte de l’environnement, de la densification des réseaux et des services de proximité (au premier rang desquels se trouvent l’école et les lieux d’accueil de la petite enfance).

On constate par ailleurs un déclin du parcours résidentiel normé avec une entrée plus tardive sur le marché du logement. Lorsque les personnes vieillissent, elles cherchent à venir ou revenir en centre-ville pour bénéficier des services de proximité.

Ces deux mouvements apparemment contraires (espace et calme vs services de proximité) trouvent leur solution en partie dans l’habitat participatif où un collectif formé par les futur.e.s habitant.e.s conçoit les logements et les espaces partagés (jardin, terrasse, salle de réunion, de sport, de jeux, atelier, chambre d’ami, buanderie, local à vélos et poussettes, etc.) tout en conservant à chacun.e une pleine intimité. Dans un tel projet, le lien social est primordial, « le but est de mieux vivre ensemble ». Les logements mis à disposition peuvent être sociaux ou en accession à la propriété ou encore en accession aidée (PSLA). La recherche de la qualité environnementale est devenue une préoccupation majeure dans l’habitat participatif.

Le respect des normes (RT 2012 voire BBC) et le contrôle de leur efficience, le souci de minimiser les impacts tout d’abord par la densification du bâti, puis lors de la mise en œuvre des matériaux pendant la période de construction et enfin lors de l’usage (consommation d’eau et d’énergie par exemple), contribuent à y répondre. L’entretien et la gestion des bâtiments sont mutualisés.

La démarche de l’habitat participatif, bien que pionnière en France (cent cinquante programmes en cours, trois cents projets13) en ce début de XXIe siècle, se développe dans toutes les régions. Elle reste modeste si on la compare aux proportions du parc immobilier en habitat participatif dans d’autres pays d’Europe : 5 % en Suisse, 15 % en Norvège, selon les chiffres du ministère du Logement. Reconnu en 2014 par l’accès au logement et un urbanisme rénové (loi ALUR), l’habitat participatif procède d’une démarche spécifique qui n’a pas vocation à devenir la norme. Elle n’en constitue pas moins une source d’innovations et de réflexions relatives à l’habitat qui mérite l’attention.

Le CESE encourage les collectivités territoriales à soutenir des initiatives en faveur de l’habitat participatif. Celui-ci ne peut en effet se réaliser compte tenu des difficultés d’accès au foncier qu’avec le soutien des collectivités territoriales et grâce à un ancrage local du projet. Le CESE demande également à l’État de poursuivre ses efforts pour faciliter l’accès au crédit pour ce type d’opérations, notamment aux particulier.ère.s qui se lancent dans un projet en autopromotion ou en coopérative d’habitant.e.s, tout en offrant des garanties suffisantes aux établissements prêteurs.

Le fait de concevoir soi-même son logement permet de se montrer innovant en matière de modularité, d’adaptation à l’évolution de la taille de la famille et des modes de vie au sein de chaque logement mais aussi entre différents logements. Cette capacité d’anticipation pourrait inspirer certains programmes immobiliers « classiques ».

Ce type d’habitat fait appel à la participation des futur.e.s habitant.e.s à la conception de leur logement, ce qui permet d’aborder les questions relatives aux usages dès l’amont du projet, d’anticiper sur l’adaptation des comportements (consommation d’énergie par exemple) et de se montrer plus vigilant dans les domaines environnementaux.

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« faire pousser une ville comestible »

« La ville qui vous nourrit gratuitement » est le surnom donné par un magazine économique à la ville de Todmorden en Angleterre, ville touchée par la crise industrielle qui a cherché à relever le défi alimentaire en transformant les espaces publics en potagers et vergers accessibles à tous… L’idée, conçue par des habitantes de la ville, est de développer une autre façon de vivre et une utilisation différente des ressources locales afin d’assurer un meilleur avenir à leurs enfants, en respectant la planète. Les initiatrices de ce projet expliquent qu’il repose sur trois piliers : la collectivité, l’éducation et l’économie. Ce mouvement des « Incroyables Comestibles » a essaimé dans le monde et dans toutes les régions de France. Certaines expériences intègrent même un volet nutrition dans les projets, afin d’impulser des actions de prévention et d’agir auprès du grand public en matière d’éducation à l’alimentation. Améliorer l’état de santé des habitant.e.s en favorisant l’accès de tous.tes à une alimentation saine, équilibrée, de proximité et de saison, permet de lutter contre le surpoids, l’obésité, les maladies cardio-vasculaires, le diabète etc. Des cours de cuisine sont dispensés, des « concours de soupes » sont lancés, permettant de faire évoluer les comportements alimentaires tout en créant du lien social.

Le CESE a préconisé dans son avis sur le biomimétisme14 de développer la microagriculture dans les espaces contraints, notamment urbains et périurbains. Le mouvement des « Incroyables comestibles » cherche à promouvoir une agriculture urbaine participative en invitant les citoyen.ne.s à semer et planter là où c’est possible, à partager les récoltes qui sont mises à disposition gratuitement et donc à accroître la résilience des territoires. Le CESE est favorable à ces démarches. Toutefois, il considère qu’elles doivent avoir pour principal objectif un but pédagogique contribuant à l’esprit de l’économie collaborative.

De telles actions rejoignent pour partie celles expérimentées dans les jardins collectifs.

Le CESE souligne l’intérêt de développer ce type d’actions, plus informelles et spontanées dans les villes, avec l’accord et le concours des services municipaux, lesquels auraient notamment pour rôle d’accompagner les jardinier.ère.s amateur.e.s dans leurs pratiques. La mise à disposition de bacs de plantation dans des lieux adaptés permet ce genre d’expérimentations, qui peuvent naître à de multiples endroits dans un quartier grâce à l’observation et à l’inventivité des habitant.e.s.

La plantation d’arbres fruitiers dans des espaces publics accessibles relève de la même logique. Ces pratiques peuvent également se développer en d’autres lieux de l’habitat – cours d’immeubles, préaux d’écoles, jardins de maisons de retraite – sous réserve des accords nécessaires, avec des soutiens publics ou privés (achat de semences par exemple), en préservant l’esprit de partage et de bien-être pour tous qui est à l’origine du mouvement.

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Conclusion

Innover dans un cadre contraint

Le bien-être de la population est le but de toute politique, qu’elle soit nationale ou locale. Mais pour que cette politique soit juste et efficace, il est nécessaire qu’elle s’inscrive à la fois dans les limites physiques du cadre de vie et dans celles de la justice sociale tout en assurant la prospérité. Selon Kate Raworth qui s’est exprimée lors d’un colloque au CESE20,

« il est essentiel pour le développement durable de veiller à ce que la vie des gens se fonde sur un plancher social, mais aussi de rester en-deçà du plafond environnemental, car le fait de dépasser l’une ou l’autre de ces limites peut déclencher des crises sociales et écologiques. »

Le plancher des droits sociaux, élaboré par les gouvernements pour Rio+20 est basé sur onze priorités : la sécurité alimentaire, les revenus, l’eau et l’assainissement, l’accès aux soins, l’éducation, l’énergie, l’égalité des sexes, l’équité sociale, la liberté d’expression, les emplois et la résilience. C’est lorsque tous ces facteurs sont réunis que l’on se sent bien, physiquement et psychiquement.

Le plafond environnemental est constitué par les limites de la planète21 : le changement climatique suivi par le taux d’appauvrissement de la biodiversité et le cycle de l’azote, puis le cycle du phosphore, l’appauvrissement de la couche d’ozone, l’acidification des océans, l’utilisation d’eau douce, le changement d’occupation des sols, la concentration de particules dans l’atmosphère et la pollution chimique. Le changement climatique et la biodiversité sont les principales préoccupations à la fois des expert.e.s mais aussi des populations alors même que les politiques s’en emparent encore trop peu…

L’avis n’a pas abordé toutes ces problématiques mais s’est concentré sur certaines d’entre elles : répondre aux enjeux du changement climatique dans l’habitat, intégrer la biodiversité dans l’urbanisme et le bâtiment, faciliter les mobilités actives, prévenir les pollutions et organiser la résilience. La réalité des retours sur investissement doit être un critère essentiel d’appréciation pour la pertinence des mesures à prendre. Associer les

habitant.e.s aux projets qui les concernent dans l’urbanisme et l’habitat permet d’améliorer ces projets et d’augmenter leurs chances de succès. C’est aussi faire d’elles et d’eux les actrices et les acteurs incontournables d’actions locales s’inscrivant dans une vision globale du monde tournée vers l’avenir.

 

About the Author: Christophe Orliac