ARCHITECTURE ET AMÉNAGEMENT DES TERRITOIRES URBAINS ET RURAUX
Le temps presse
L’alarme sonne de tout côté. Les rapports du GIEC confirment la responsabilité humaine dans le dérèglement global. Plus de 15 000 scientifiques l’affirment : il « sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec, et le temps presse ». L’ONU déplore que les émissions de gaz à effet de serre stagnent à 52 Gt annuels, alors qu’il faudrait les limiter à 36, voire 24, pour rester en-dessous des 2 °C qui autoriseraient un avenir apaisé. La COP 23 affiche son impuissance : les engagements pris lors de la COP 21, il y a 2 ans, conduisent à une hausse de plus 3 à 3,5 °C. Mais, restons optimistes, il est encore temps : « Nous avons 3 ans pour agir », avertissent Jean Jouzel et Pierre Larrouturou.
Les menaces s’accumulent
Au-delà des changements climatiques dus aux émissions de gaz à effet de serre, les menaces s’accumulent : décroissance accélérée de la biodiversité ; raréfaction de ressources épuisables ; pollution accrue de l’air, des terres et des mers ; inégalités grandissantes face au partage des richesses et aux impacts du dérèglement global…
La seule maîtrise de l’énergie ne suffira pas.
Des paroles et des actes
Les choix politiques nationaux sont-ils à la hauteur des enjeux ? Les gouvernements successifs annoncent des initiatives qu’ils finissent par reporter. Ainsi, l’objectif des 50 % de nucléaire dans le mix électrique est repoussé aux calendes grecques, ruinant pour de nombreuses années l’essor des énergies renouvelables. Depuis la crise financière de 2008, la visée environnementale n’est plus le dessein essentiel qu’elle fut au début de ce siècle. La révision à la baisse des engagements, comme pour la RT 2012, l’annonce de mesures au budget notoirement insuffisant, comme pour la rénovation énergétique de l’existant, et la mise à mal du financement du logement social l’attestent et inquiètent.
Un mode de développement obsolète
Pourquoi refuser de voir l’avenir ? Sommes-nous pour toujours pris au piège d’un mode de développement aveugle ? Comment peut-on favoriser une production accrue de biens sans voir l’épuisement des ressources et les dérèglements planétaires ? Comment peut-on avantager la prospérité de la finance sans voir enfler les inégalités et notre dette envers la nature ? Comment peut-on privilégier la compétition égoïste sans voir les solidarités s’épuiser et la générosité s’étouffer ? Ce mode de développement d’un autre âge paralyse la transition écologique et sociétale.
La bonne nouvelle
Mais le monde change et des graines de possibles poussent sur toute la planète. Une agriculture soucieuse des humains et de la nature sort de la marginalité et les circuits courts se développent. Une économie coopérative, sociale et solidaire prend place en dehors des secteurs marchands et de ceux qui s’autoproclament collaboratifs. Dans les esprits, l’usage partagé prend le pas sur la possession, la mutualisation sur la privatisation, la sobriété sur le gaspillage. Un monde nouveau naît.
La lourde part des bâtisseurs
Les professionnels du bâtiment et de l’aménagement du territoire ne peuvent se soustraire à leur responsabilité. Leurs domaines d’action émettent au moins 40 % des gaz à effet de serre pour les bâtiments, et bien plus avec les déplacements induits par les choix urbanistiques, telle la forte préférence pour la construction neuve plutôt que la réhabilitation. Choix qui suppriment, tous les 10 ans, l’équivalent de la surface d’un département en terres agricoles.
L’engagement collectif et individuel s’impose.
Frugalité en énergie
Le monde du bâtiment change aussi. À l’échelle du territoire, l’Ademe a présenté 165 porteurs de projets de production d’énergie renouvelable, locale et participative. À l’échelle du bâtiment, on construit des édifices sains et agréables à vivre sans ventilation mécanique ni climatisation, voire sans chauffage. Grâce à la ventilation naturelle, au rafraîchissement passif, à la récupération des apports de chaleur gratuits et à l’inertie thermique, la conception bioclimatique permet de réduire au strict minimum les consommations d’énergie, tout en assurant un confort accru. Nous savons le faire et cela ne coûte pas plus cher. Pourquoi ne pas généraliser ces pratiques ?
Frugalité en matière
Nous savons nous passer de matériaux qui gaspillent les ressources. La construction en bois, longtemps limitée aux maisons individuelles, est mise en oeuvre à présent pour des équipements publics d’envergure et des habitations collectives de plus de 20 étages. Les isolants biosourcés, marginaux il y a peu, représentent près de 10 % du marché et progressent de 10 % chaque année. La terre crue, matière de nos patrimoines, sort du purgatoire dans lequel le XXe siècle l’avait plongée. Toutes ces avancées consolident le développement de filières et de savoir-faire locaux à l’échelle des territoires.
Frugalité en technicité
La frugalité en énergie, matières premières, entretien et maintenance induit des approches low tech. Cela ne signifie pas une absence de technologie, mais le recours en priorité à des techniques pertinentes, adaptées, non polluantes ni gaspilleuses, comme à des appareils faciles à réparer, à recycler et à réemployer. En réalisation comme en conception, la frugalité demande de l’innovation, de l’invention et de l’intelligence collective. La frugalité refuse l’hégémonie de la vision techniciste du bâtiment et maintient l’implication des occupants. Ce n’est pas le bâtiment qui est intelligent, ce sont ses habitants.
Frugalité pour le territoire
Qu’il soit implanté en milieu urbain ou rural, le bâtiment frugal se soucie de son contexte. Il reconnaît les cultures, les lieux et y puise son inspiration. Il emploie avec soin le foncier et les ressources locales ; il respecte l’air, les sols, les eaux, la biodiversité, etc. Il est généreux envers son territoire et attentif à ses habitants. Par son programme et ses choix constructifs, il favorise tout ce qui allège son empreinte écologique, et tout ce qui le rend équitable et agréable à vivre.
Pour la frugalité
La transition écologique et la lutte contre les changements climatiques concourent à un usage prudent des ressources épuisables et à la préservation des diversités biologiques et culturelles pour une planète meilleure à vivre. Le maintien des solutions architecturales urbanistiques et techniques d’hier, ainsi que des modes actuels d’habiter, de travailler, de s’alimenter et de se déplacer, est incompatible avec la tâche qui incombe à nos générations : contenir puis éradiquer les dérèglements globaux. Le bâtiment frugal et le territoire frugal – urbain ou rural – sont les réponses que nous avons choisies. Nous les partageons dans nos enseignements, nos interventions et nos publications. Nous les mettons en oeuvre dans nos réalisations pour accompagner l’instauration d’une société heureuse et écoresponsable.
19 janvier 2018
Alain Bornarel (ingénieur), Dominique Gauzin-Müller (architecte),
Philippe Madec (architecte et urbaniste)
Pour signature et pour tout contact, envoyer un courriel à l’adresse :
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